Donation entre époux

Donation entre époux

Bien que les droits légaux du conjoint héritier soient importants, une libéralité entre époux reste néanmoins intéressante dans la très grande majorité des cas.

Avant d’évoquer les différentes situations susceptibles de se présenter, il faut rappeler que le conjoint survivant ne peut pas cumuler ses droits légaux et ceux qu’il retire d’une disposition de dernières volontés. La règle est que les libéralités qu’il reçoit s’imputent sur ses droits successoraux ; si ces libéralités sont inférieures à ses droits légaux, le conjoint peut réclamer le complément, sans jamais cependant recevoir une portion de biens supérieure à la quotité disponible spéciale entre époux (C. civ. art. 758-6). Autrement dit, le cumul est possible mais dans la limite de la quotité disponible spéciale entre époux qui joue comme un plafond.

Par rapport aux droits que le conjoint tient de la loi, une libéralité entre époux de biens à venir portant sur la quotité disponible spéciale présente les avantages suivants en présence de descendants :

  • elle permet à l’époux qui a des enfants d’un autre lit de laisser à son conjoint l’usufruit de toute sa succession, ce que la loi ne prévoit que lorsque tous les enfants sont communs ;
  • l’usufruit de l’article 1094-1, alinéa 1 du Code civil porte sur tous les biens du défunt existants à son décès, y compris les biens légués, ce que l’usufruit légal ne permet pas  ;
  • si l’époux a moins de trois enfants, elle offre au conjoint survivant une quotité en pleine propriété supérieure à celle prévue par la loi, qui est fixée à 1/4 quel que soit le nombre d’enfants : le conjoint qui opte pour la quotité disponible ordinaire récupère la moitié de la succession s’il n’y a qu’un enfant et un tiers s’il y a deux enfants ;
  • elle permet de cumuler des droits en propriété et des droits en usufruit, ce que la loi ne prévoit pas ;
  • la masse de calcul du quart en propriété, en sus de l’usufruit des trois quarts, de l’article 1094-1, alinéa 1 du Code civil est établie en vertu de l’article 922 du Code civil. Elle inclut toutes les libéralités qu’elles soient ou non préciputaires et est dès lors plus importante que la masse de calcul de la propriété du quart visée à l’article 758-5 du Code civil  ;
  • les modalités d’imputation des donations en propriété entre époux sont différentes selon que le conjoint bénéficie d’un usufruit légal ou d’un usufruit au titre de l’article 1094-1 du Code civil. En cas d’usufruit légal, la donation en propriété s’impute sur l’usufruit en application de l’article 758-6 du Code civil et le conjoint ne peut pas exercer son usufruit sur tous les biens existants alors qu’il le peut en cas d’usufruit légué ou donné dans le cadre de l’article 1094-1 du Code civil, le cumul étant dans ce cas possible dans la limite de la quotité disponible spéciale ;
  • selon l’opinion dominante, une libéralité universelle permettra au conjoint survivant de conserver en nature l’ensemble des biens existants, sauf à être tenu vis-à-vis des héritiers réservataires d’une indemnité de réduction en valeur égale au montant de leur réserve. Il n’y a dès lors pas d’indivision entre les enfants réservataires et le conjoint survivant sur les biens successoraux, les premiers devenant de simples créanciers du second ;
  • sauf indication contraire de l’acte, elle offre au conjoint survivant le choix entre les trois quotités autorisées avec en outre la possibilité de cantonner son émolument à certains biens dont il a été disposé en sa faveur ;
  • en matière d’impôt sur la fortune immobilière (IFI), le principe d’imposition de l’usufruitier sur la valeur en pleine propriété est écarté dans certains cas au profit d’une répartition de la charge fiscale entre l’usufruitier et le nu-propriétaire selon le barème forfaitaire prévu à l’article 669 du CGI en fonction de l’âge de l’usufruitier (CGI art. 968 applicable depuis le 1-1-2018). Il en est ainsi en particulier lorsque le démembrement de propriété résulte de l’article 757 du Code civil relatif à l’usufruit légal du conjoint survivant. En conséquence, selon que le conjoint survivant reçoit des droits en usufruit en vertu de la loi (C. civ. art. 757) ou en exécution d’un testament, d’une donation au dernier vivant ou encore d’un contrat de mariage, le traitement fiscal sera différent. Ainsi, dans le cas d’un usufruit légal, si un bien immobilier vaut 500 000 € et si l’usufruitier a entre 61 et 71 ans, il est taxé sur 200 000 € (500 000 € × 40 %), et le nu-propriétaire sur 300 000 €. Dans les autres cas (usufruit conventionnel), l’usufruitier est taxé sur 500 000 euros.

En l’absence de descendants et en présence des père et/ou mère, une libéralité entre époux permet de déshériter les ascendants pour laisser l’intégralité de la succession à son conjoint. Ajoutons toutefois que la libéralité au profit du conjoint ne saurait à notre avis faire obstacle au droit de retour légal dont bénéficient les père et mère sur les biens donnés à leur enfant prédécédé sans descendance.

Les personnes qui ne laissent ni descendants ni ascendants n’ont guère de raison de faire une libéralité de biens à venir : leur conjoint hérite de la totalité de leur succession par le seul effet de la loi. Une libéralité peut toutefois présenter un intérêt si le défunt laisse des frères et sœurs et qu’il détient des biens de famille, car ces biens ont vocation à revenir pour moitié aux frères et sœurs du défunt. Une donation au dernier vivant ou un legs universel en faveur du conjoint permet de faire obstacle au droit de retour des frères et sœurs, le conjoint recevant la pleine propriété de l’intégralité des biens. Par testament, le défunt peut prévoir un légataire autre que le conjoint pour les biens de famille.

Restent valables les donations au dernier vivant et les testaments établis avant le 1er janvier 2007 (date d’entrée en vigueur de la réforme des successions et des libéralités opérée par la loi du 23 juin 2006), voire avant le 1er juillet 2002 (date d’entrée en vigueur de la réforme des droits du conjoint survivant opérée par la loi du 3 décembre 2001). Les époux doivent cependant s’interroger sur la pertinence des dispositions qu’ils ont pu prendre au regard des règles actuelles.

Si les époux considèrent que leur conjoint est suffisamment protégé par les nouvelles dispositions légales, les libéralités portant sur des biens à venir au profit du conjoint peuvent être révoquées.

Si les époux souhaitent protéger le conjoint au-delà des dispositions légales, la libéralité devra être maintenue. Les époux peuvent cependant se demander si un changement de leur régime matrimonial ne leur offrirait pas un cadre juridique et fiscal plus opportun.

Il peut également arriver que les droits légaux du conjoint soient inadaptés à la situation patrimoniale et familiale par exemple si le conjoint est suffisamment protégé grâce à l’existence d’un patrimoine personnel ou à son contrat de mariage. Il est alors possible de prévoir par testament que le conjoint sera privé de tout ou partie de sa vocation successorale, en usufruit ou en propriété, dans la mesure bien entendu où ces dispositions ne portent pas atteinte à ses droits impératifs (jouissance gratuite du logement pendant un an et, le cas échéant, réserve du quart en l’absence de descendants). On rappellera que seul un testament établi sous le forme authentique permet de priver le conjoint survivant de son droit viager d’habitation du logement conjugal et d’usage du mobilier le garnissant.

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